Les mots sont beaux. Patience, absolu, venin, frisson, ombre…
Ils emplissent toute la bouche, s’échappent et s’incarnent en celui qui entend. mais, comme ceux qui ne voient pas, ceux-là n’écoutent pas.
Les mots sont beaux, qui disent le champ acidulé, la lumière, le front souple des enfants, les mains noueuses parcourues des résilles bleues, l’élan, nos pieds miraculeux qui marchent sans y penser.
Les mots sont beaux, qui écrivent le passé, qui sont mémoire, qui sont souvenirs, qui sont chants, qui sont livres.
Les mots sont innocents. Ils ne savent pas ce qu’ils disent.
Les mots sont beaux, qui s’échappent de la prison de la pensée, pour dévoiler, pour aller se promener dehors. Partie de l’intime qui se laisse comprendre, qui veut être entendue.
Ils partent à l’aventure, un foulard autour du cou, et le vent pour voyager. Ils s’étonnent d’un rien, et racontent ce qui enchante. Ils reviennent, chargés de sens, se réfugier dans la besace des mots de celle qui écrit.
Les beaux mots, je les attrape avec mon filet avant qu’ils ne s’envolent et filent faire l’école buissonnière. J’emprisonne tous ceux qui passent à la portée de mon piège à papillons, qu’ils soient noms, verbes, adjectifs, et même les décriés adverbes, et même les conjonctions de coordinations, et mêmes les articles, qui sont possessifs… tout m’est une poétique.
Je peux, avec mes pinceaux, avec de la couleur, tenter de dire ce qu’est mon monde, mais je ne peux pas dire le monde qui est notre monde.
Je peux arrêter le temps, et le fixer dans une image, mais « Papillonner » peut-il être une image fixe?
Les mots sont comme les plumes de l’oiseau, qui le portent dans l’air, et le protègent de la pluie.
Les mots sont beaux. Ils s’égrènent dans l’espace de la parole sans que l’on voit leur beauté, parce qu’on s’en sert comme des outils, pour dire des banalités, mais il n’y a pas de mots banals. Chaque mot porte son histoire, et la beauté de sa voix unique. Dans le coffre merveilleux où je range mes mots, il y a aussi des mots blessants, des injures, des vulgarités, des petits mots, des mots insignifiants… mais si je les sors au jour pour les faire briller, ils deviennent des colombes, des mots purs, des mots inoffensifs. Parce que la vulgarité n’est pas dans les mots, mais dans les gens qui les utilisent.
Les mots écrivent aussi le mystère et le secret, l’interdit, ce qui ne peut pas être nommer, mais qui, pourtant, porte des noms clandestins, tout l’impénétrable de l’intime qui ne voyage pas hors des murailles de notre âme fragile. Sans les mots, que saurions-nous de nos maux?
Tous les mots sont beaux.
Même ceux que l’on tait,
Ceux qui sont silence.
Avec tous ces mots, les grands, les petits, les beaux, les grossiers, les mots de guingois, les mots incompréhensibles, les mots savants qui écrivent en hauteur, les mots du caniveau, les mots colorés et les mots gris, avec les mots de tous les jours et ceux qui ne sortent qu’en habit du dimanche, avec les articles et les adjectifs qualificatifs, et les noms propres, les noms sales et les noms communs, et le nom des choses et des gens, qui prend une solennelle majuscule, avec les verbes transitifs et les intransitifs, et avec les deux auxiliaires toujours prêts à aider…
Avec tous les mots, je veux écrire la beauté des mots.
