Maja.

Cette photo, je l’avais épinglée au-dessus de mon bureau, à Cartoon Farm où je travaillais à l’époque. Je ne sais plus où j’avais trouvé cette carte postale, mais le photographe et son modèle jouissait d’une certaine notoriété.

Déjà, à Duperré, je préférais les modèles gros. L’harmonie de leurs courbes se répondant les unes aux autres, la tension de la chair, ou son affaissement, la grâce des rondeurs, les fesses, les seins. Nous avions surtout des modèles âgées dans cette catégorie. Des corps ayant vécu, avec des histoires dans chaque pli, émouvants et tranquilles. Le geste de la main et du fusain dans la courbe est tellement plus ample, plus large. On dirait qu’il respire.

Les modèles minces et parfaits, leur beauté tétanise. On sait qu’on ne peut sublimer ce qui est perfection. Dessiner le beau est vain.

Mais s’engloutir, se noyer dans les sinuosités, dans les traits ronds, dans les courbes, dans les volutes voluptueuses de la chair, en suivant du fusain les plis et les replis, en en sublimant le tracé, en rendant visible la beauté est vraiment un plaisir incomparable, un festin extactique. Car montrer la beauté là où d’autres ne la voit pas est le seul travail de l’artiste. L’artiste provoque par la vision et la représentation. En alchimiste, il transforme le trivial en sublime, et soulevant le voile des yeux, montre à tous la beauté.

MAJA / ©Cees van Gelderen-1980

Inspiration.

Fleurs, ciel, nuages, papillons, étoiles, cosmos, océans, lune, petits gendarmes rouges et noirs, escargot solitaire sur son chemin d’argent, parfum des tilleuls le soir, chant des oiseaux, miracle des couchers du soleil dans ses voiles roses, scintillement de la rivière à midi, grues passant au dessus du pont, étourneaux en nuées changeantes dans le ciel de novembre, murmure des vagues laissant leur écume sur les galets, pieds nus des bébés, fourrure de mon chien qui dort et soupire, velours de la patte du chat, effloraison de givre sur la rose solitaire, tremblement des bouleaux, acacias en fleur sur le chemin, cacophonie de la basse-cour qui chahute, coq chantant derrière la maison, rue en pente dans la lumière éblouissante, corne de brume dans le silence de la nuit, ombre qui marche devant moi, petit train des fourmis dans le sucrier du salon, merle rieur sur le muret, œil d’animal rond, ouvert et craintif, bond de la biche sur la route, fuite du lézard, rythmes des troncs bleus, fruits rouges et violets de la haie, neige, vent, rideau de pluie claire…
Moi qui peint, qui suis-je dans cet univers de beauté.
Quelle est la beauté qui peut rivaliser avec la beauté du monde ?

sans traits ni points

Pendant un certain temps, je me suis adonnée au plaisir de mettre sur ma planche de zinc bouts de papier, encre, matériaux plats et granuleux, ou de peindre directement sur la plaque métallique à grands coups de brosse. Puis, je mettais un papier humide sur l’ensemble, et passais le tout entre les langes et les rouleaux de la grande presse de l’atelier de gravure que je fréquentais. Comme on ne peut faire qu’un tirage, ce genre de « gravures non gravées » s’appelle « monotype« .
Je soulevais, le cœur battant, le papier où étaient imprimées mes fantaisies incontrôlées, pour en connaître le résultat hasardeux. Deux paramètres rendent ce travail impossible à contrôler totalement : la pression de la presse, l’écrasement des matériaux et de l’encre, et le fait que le tirage soit l’envers de la planche travaillée.
C’est toujours étonnant et émouvant de soulever délicatement la feuille avec la longue pince fine, et de déposer le tirage sur son lit de papier, pour le laisser sécher.

Illustration pour Le Bateau Ivre. Monotype. ©Marie-Anne Bonneterre. 2011.

Couleurs…

Les noms des couleurs sont les mots d’un poème…

Aile de corbeau, terre d’ombre, puce, rouille, sang, outremer, incarnat, tabac, lilas, mandarine, bistre, ventre de biche, beurre frais, émeraude, moutarde, turquoise, azur, taupe, coquille d’œuf, menthe, héliotrope, pomme, corail, abricot, réglisse, cuisse de nymphe émue, perle, lavande, écarlate, fauve, garance, tango, chartreuse, glauque, tourterelle, crème, ivoire, jaune paille, Jaune de Naples ou de Mars, acajou, maïs, puce, capucine, alizarine, sang de bœuf, tilleul, vanille, olive, pistache, mousse, Véronèse, zinzolin, amarante, bitume, fraise écrasée…

Ma palette…

Pourquoi j’illustre?

Lorsque je dessine et que je peins, que fais-je d’autre qu’illustrer ? Illustrer une idée, une vision, un élan intérieur, une émotion, qui sans l’aide de mes crayons et de ma plume, resteraient dans l’état invisible de leur naissance en tant qu’idée.

Car, pour moi, illustrer commence par conceptualiser, puis par montrer, pour projeter dans un espace imaginaire.

Et « imaginaire » est le maître mot. Car c’est dans l’imagination, les souvenirs, la candeur de l’enfance que je vais puiser pour créer mes illustrations, en espérant qu’elles rencontreront cet éblouissement enfantin chez mes lecteurs.

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