
Glace.

Fleurs, ciel, nuages, papillons, étoiles, cosmos, océans, lune, petits gendarmes rouges et noirs, escargot solitaire sur son chemin d’argent, parfum des tilleuls le soir, chant des oiseaux, miracle des couchers du soleil dans ses voiles roses, scintillement de la rivière à midi, grues passant au dessus du pont, étourneaux en nuées changeantes dans le ciel de novembre, murmure des vagues laissant leur écume sur les galets, pieds nus des bébés, fourrure de mon chien qui dort et soupire, velours de la patte du chat, effloraison de givre sur la rose solitaire, tremblement des bouleaux, acacias en fleur sur le chemin, cacophonie de la basse-cour qui chahute, coq chantant derrière la maison, rue en pente dans la lumière éblouissante, corne de brume dans le silence de la nuit, ombre qui marche devant moi, petit train des fourmis dans le sucrier du salon, merle rieur sur le muret, œil d’animal rond, ouvert et craintif, bond de la biche sur la route, fuite du lézard, rythmes des troncs bleus, fruits rouges et violets de la haie, neige, vent, rideau de pluie claire…
Moi qui peint, qui suis-je dans cet univers de beauté.
Quelle est la beauté qui peut rivaliser avec la beauté du monde ?
À quoi sert de peindre, puisqu’on ne peut rendre la beauté du vent qui passe sur un champ de blé en herbe ?
D’autres femmes vivent en moi, mais rien n’est sûr…
Pendant un certain temps, je me suis adonnée au plaisir de mettre sur ma planche de zinc bouts de papier, encre, matériaux plats et granuleux, ou de peindre directement sur la plaque métallique à grands coups de brosse. Puis, je mettais un papier humide sur l’ensemble, et passais le tout entre les langes et les rouleaux de la grande presse de l’atelier de gravure que je fréquentais. Comme on ne peut faire qu’un tirage, ce genre de « gravures non gravées » s’appelle « monotype« .
Je soulevais, le cœur battant, le papier où étaient imprimées mes fantaisies incontrôlées, pour en connaître le résultat hasardeux. Deux paramètres rendent ce travail impossible à contrôler totalement : la pression de la presse, l’écrasement des matériaux et de l’encre, et le fait que le tirage soit l’envers de la planche travaillée.
C’est toujours étonnant et émouvant de soulever délicatement la feuille avec la longue pince fine, et de déposer le tirage sur son lit de papier, pour le laisser sécher.
Les noms des couleurs sont les mots d’un poème…
Aile de corbeau, terre d’ombre, puce, rouille, sang, outremer, incarnat, tabac, lilas, mandarine, bistre, ventre de biche, beurre frais, émeraude, moutarde, turquoise, azur, taupe, coquille d’œuf, menthe, héliotrope, pomme, corail, abricot, réglisse, cuisse de nymphe émue, perle, lavande, écarlate, fauve, garance, tango, chartreuse, glauque, tourterelle, crème, ivoire, jaune paille, Jaune de Naples ou de Mars, acajou, maïs, puce, capucine, alizarine, sang de bœuf, tilleul, vanille, olive, pistache, mousse, Véronèse, zinzolin, amarante, bitume, fraise écrasée…
Lorsque je dessine et que je peins, que fais-je d’autre qu’illustrer ? Illustrer une idée, une vision, un élan intérieur, une émotion, qui sans l’aide de mes crayons et de ma plume, resteraient dans l’état invisible de leur naissance en tant qu’idée.
Car, pour moi, illustrer commence par conceptualiser, puis par montrer, pour projeter dans un espace imaginaire.
Et « imaginaire » est le maître mot. Car c’est dans l’imagination, les souvenirs, la candeur de l’enfance que je vais puiser pour créer mes illustrations, en espérant qu’elles rencontreront cet éblouissement enfantin chez mes lecteurs.
Lire la suite « Pourquoi j’illustre? »