Mendiant.

Il l’avait ramassé dans un bistrot un soir d’été.
À cette époque, il n’avait vraiment l’air de rien, tout sale, tout chiffonné… Il l’avait embarqué dans sa musette. Il avait été ému par ses yeux de topaze sombre, sa timidité, sa gaieté retenue.

Il traînait là sa carcasse, errant entre les tables, mendiant discrètement, contraint par l’exigence d’un ventre sourd, comme il se doit, aux bonnes manières. Pourtant, on remarquait chez lui un maintien d’aristocrate, la délicatesse silencieuse du long apprentissage des manières bourgeoises.

Il humait, le nez au vent, flegmatique, le fumet des assiettes qui passaient au-dessus de lui, fermement tenues par la serveuse. Il laissait s’écouler quelques minutes pour ne pas passer pour un goinfre, puis il s’approchait de la table où les assiettes avaient été posées. Il s’asseyait à bonne distance et regardait fixement les dîneurs. Il se régalait pour eux. Chaque bouchée était épiée, suivie, imaginée.
Lorsqu’un client lui offrait une minuscule part du repas, il s’éloignait avec pudeur, la bouchée entre les dents, et dégustait plus loin le geste charitable avec lenteur.

Ce soir-là était un soir heureux. L’air portait loin les oriflammes des sons et les encens tièdes des jardins. Les oiseaux se criaient bonsoir d’un arbre à l’autre et leurs chants tissaient des mélodies enchevêtrées dans l’espace. Il flottait le parfum de la terre mouillée des potagers arrosés à la brune.

L’homme s’était assis à la terrasse, sous le platane. Il avait allongé ses longues jambes sous la table et commandé une anisette à l’aspect de nuage liquide. Les conversations et les rires s’égrenaient sans qu’il y prît garde. Tout paraissait lointain et joyeux comme une vie qui serait facile.
C’est alors qu’il l’avait remarqué, justement à cause de sa discrétion. Il lui avait trouvé un air de camarade, d’un ami qui se fait léger. Il lui avait plu… Enfin, ils s’étaient plus.
L’homme lui tendait une olive que l’autre allait croquer sous une chaise, puis restait là, à observer et à attendre.

Il s’était levé pour quitter le bistrot. Il avait fait quelques pas vers la place, puis avait sifflé. L’autre lui avait emboîté le pas, à distance, de sa carcasse dansante d’affamé.

Depuis ce jour, l’homme a un chien et lui a un homme. Deux compagnons qui marchent en silence pour mieux s’écouter. 

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