Les habits du dimanche.

Je me souviens des petites robes de velours noir ornées de col de dentelle blanche, de nos gilets bleu ciel tricotés à la main, de nos collants de dentelle laissés sous le sapin à Noël, de nos souliers vernis.
Je me souviens des habits du dimanche, des habits propres, neufs et inhabituels, qui nous engonçaient, et nous intimidaient, ma sœur et moi, mais où nous nous trouvions belles et spéciales, et qui provoquaient de petits gestes précieux et étudiés des mains et des pieds.
Dans notre enfance, ma mère avait pris l’habitude de nous habiller de façon identique, ma sœur et moi, comme ça se faisait dans ces années-là. Mêmes robes, mêmes petites chaussures vernies, mêmes manteaux de laine à col de velours, mêmes maillots de corps « Petit bateau » blancs et immaculés, même petits tricots de jersey, même tout.

Les habits du dimanche. Nous étions en vitrine de nous-mêmes, comme des poupées sages.

Peu à peu, les habits du dimanche devenaient les habits de tous les jours, les habits que nous portions sous nos blouses d’écolières. Les habits du dimanche passé étaient remplacés par des habits neufs qui devenaient les beaux habits, et ainsi de suite, d’année en année. Ils fanaient comme des fleurs.
Mon arrière-grand-mère, qui était couturière, avait deux périodes intenses de travail, à l’automne et au printemps, où les dames venaient se faire faire des robes neuves pour la nouvelle saison. Les anciennes robes passaient au statut de robes de tous les jours, remplacées dans leur fonction de robes du dimanche par les nouvelles venues un peu crâneuses et empesées. Des robes qui allaient au café de la place, le dimanche et au bal, le samedi soir, des robes qui flirtaient, avec les guipures, les petites fleurs, les froufrous… Des robes au goût du jour qui supplantaient les robes de la saison dernière, démodées et vieillottes.
Je me souviens d’une de mes robes du dimanche, une robe d’été courte, d’un jaune tournesol éblouissant, avec une petite ceinture basse à partir de laquelle s’épanouissait une jupe à plis. Dès que je sortais, j’étais prise d’assaut par des nuées de moucherons attirés par ce jaune éclatant ! J’essayais de leur échapper, mais le moindre moucheron écrasé laissait sur ma robe une tache noire.
J’avais dix ans, et je crois que ça a été la dernière de mes robes du dimanche. L’époque avait changé.
Un an plus tard, je rentrais en sixième. Je n’étais plus la poupée de maman, dorénavant.

Ils ont disparu, les habits du dimanche.
Comme ont disparu les blouses d’écolières.
Comme tous les noms des habits de mon enfance, les cache-nez et les cache-col, les tricots, les chandails, les paletots, les toilettes, les souliers, les vestons, les anoraks et les cirés…

Les habits du dimanche, ils allaient avec le dimanche, l’ennui, la messe, les invitations, être sage et se taire. Ils étaient plus sérieux, plus raides, plus corsetés. Dans nos habits du dimanche, notre corps vieillissait plus vite. Nous nous transformions en dame. Souvent, une fois revenues de la messe, pour préserver nos beaux habits, notre mère nous changeait, et nous redevenions gamines, comme si l’enfance était cachée dans nos vêtements de tous les jours. Les rires, les courses et le vélo, c’était dans nos habits quotidiens. Les habits du dimanche, c’était un peu les robes de Camille et de Madeleine, et nous nous transformions pour quelques heures en petites filles modèles. Mais dès qu’on nous retirait de notre gangue surgissaient les monstres joyeux de l’enfance.

Cette tradition des beaux habits du dimanche, une tradition de pauvres, de travailleurs, est morte avec ma génération. Je n’ai plus de robes du dimanche, et n’en ai jamais eu pour ma fille. On a des vêtements pour des occasions, pour ceci, pour cela, mais plus pour le dimanche. Aujourd’hui, le vêtement du dimanche ne ressemble à rien, il est mou, tranquille, sans aspérité. Il est là pour être à la maison, pour ne rien faire, mais confortablement, alors que l’habit du dimanche, c’était la même chose, mais aussi tout le contraire : ne rien faire, mais inconfortablement, pour faire beau, pour être beau, tout raide, dans ses habits neufs. Les enfants d’aujourd’hui ne connaîtront pas les habits du dimanche. Ils sont nés dans un autre monde, un monde plus riche, plus laid aussi.
Je ne sais pas si je regrette cette tradition. Elle nous donnait une idée de l’importance de ce que nous possédions. Une robe suffisait. Aujourd’hui, nous accumulons, et plus rien n’a vraiment d’importance. Rien n’est suffisant. Et plus personne ne se souviendra de ses habits du dimanche…

Des petites robes de velours noir à col de dentelle blanche…

Ma sœur et moi, sur le banc, en compagnie des copines de la cité, dans nos robes de velours noir à col de dentelle blanche. Une photo fournie par Marie-Claire.




2 réflexions sur « Les habits du dimanche. »

  1. Ton texte m’a donné plein de souvenirs… Moi aussi j’avais ma robe du dimanche avec des chaussures vernis que j’adorais mais je me souviens que j’avais super mal au pieds avec! Peu importe je voulais les porter absolument. Les habits c’était aussi comme la vaisselle, celle qui était rangée dans le buffet et qu’on sortait le dimanche midi et pour toutes les fêtes.

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