Les matins où le cœur grince.
On ne peut pas être heureux.
Je suis de celles qui sourient. Qui se lèvent de bonne humeur et trouvent plaisir au jour qui vient. Même si parfois, le ciel du dehors fait grise mine, mon ciel intérieur est souvent ensoleillé.
Dans un des derniers dramas que j’ai vu, le tendre et beau « My Liberation Notes », j’ai été particulièrement frappée par un personnage qui demande à faire partie du Club de Libération, pour se libérer de son visage toujours souriant, comme un masque contre lequel elle ne peut rien, et qui la gêne lorsqu’elle assiste à des funérailles. Elle ne peut jamais avoir l’air triste. C’est un très beau personnage, bien que fugace. Je ne dirais pas que je porte un masque. Mais je ne m’autorise que rarement les manifestations de mes états d’âme lorsque mon âme est sombre.
Pourtant, on ne peut pas être heureux tout le temps.
Le bonheur est comme le vol bleu du martin-pêcheur : à peine un instant. Pour certains, comme moi, il y a beaucoup d’oiseaux, et pour d’autres, très peu. Certains, comme moi, se réjouissent de choses minuscules, de la nature, de la beauté d’une feuille rouge vibrant dans la lumière du sous-bois. Je suis ce qu’on appelle « une bonne nature ». Un rien me comble. Mes colères sont sans lendemain, mes irritations vite calmées. Je ne suis ni rancunière, ni jalouse, ni envieuse, ni avide. Confiante en l’avenir, je me satisfais d’espoirs, espoirs que les choses changent, et je goûte le bonheur de ce que la vie m’offre au quotidien. Être là.
Je suis une personne non-désirante. Je ne fais pas vraiment de plan, je ne souhaite pas d’objets, ni de moments particuliers. Je ne sais pas ce que j’attends de la vie… Qu’elle me surprenne, c’est tout. Et comme je ne sais pas ce que j’attends, je suis heureuse de ce que je reçois.
Je suis heureuse sans raison.
Ce n’est pas comme une ivresse, plutôt comme une folie.
Les raisons de mon bonheur ne sont ni la satisfaction d’un désir, ni le plaisir d’être comblée, mais la délectation de choses qui arrivent sans crier gare.
Pourtant, ce matin, j’étais triste…
Mais on ne peut pas être heureux tout le temps.
Certains matins, les volets de ma joie intérieure restent fermés. Je ne suis pas malheureuse, mais la porte radieuse est fermée. Tout se colore de gris, de noir, et l’horizon de mes pensées s’effacent. Dans ce recueillement mélancolique, le monde marche au ralenti.
Je me repose du bonheur dans la tristesse.
Il y a un côté un peu naïf et innocent dans l’état bienheureux. La souffrance a meilleure presse. On en fait des livres, des films, des articles dans les journaux. Et, pour reprendre ce truisme, les gens heureux n’ont pas d’histoire. D’ailleurs, les contes se terminent toujours au moment où les désirs sont satisfaits : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Le bonheur emmerde.
Je me demande si Cendrillon a eu un petit coup de douleur et d’ennui, dans sa félicité. Une fois son Prince épousé, et ses enfants faits, que lui reste-t-il à espérer ?
Ce matin, j’étais triste.
C’était un dimanche calme. Il faisait beau, et tout était parfait. Et pourtant, j’étais en vacances du ravissement qui est habituellement le mien, le matin. Il n’y avait que du silence en moi, et une forme d’apathie. J’en voulais légèrement au monde d’être lui. Le soleil projetait les ombres des plantes sur les murs, offrant une œuvre d’art mouvante et éphémère. Par la fenêtre ouverte me parvenaient les sons d’un matin paisible, les chants des oiseaux, les aboiements lointains des chiens, et le vent dans les arbres de la place. Toutes choses merveilleuses. Un matin heureux dans une vie tranquille… Et pourtant, j’avais l’âme grise, et je pleurais dedans.
Je me suis dit : On ne peut pas être heureux tout le temps…
Et cette pensée m’a consolée.
S’astreindre au bonheur est épuisant.
