J’écoute les vibrations de ma pensée qui vrombit comme mille abeilles d’or, qui tremble comme les feuilles des peupliers, qui s’agite comme des draps mis à sécher dans le vent, qui frétille de pluies grises.
Mes pensées. Je veux les attraper, les prendre toutes, mais elles s’échappent comme un troupeau de gamines folles. Elles courent et sautent partout et s’écorchent et se blessent et verdissent leurs genoux roses. Roses, les genoux des fillettes, leurs oreilles, leur nez, leurs coudes.
Mes pensées fuient vers le fond, se cachent derrière des phrases, se blottissent dans les mots, prêtes à bondir comme des tigres blonds.
Mes pensées attendent sagement, les mains posées sur les genoux, qu’on leur permettent de sortir au soleil. Mes pensées frétillent comme des poissons d’or et s’envolent comme deux papillons amoureux qui se tournent autour, comme l’hirondelle qui fend l’air de son cri. Mes pensées sont rangées avec les livres dans les étagères de mon âme. J’en lis une, parfois, comme si elle était la pensée d’un autre.
Ma pensée sort parfois de la cave de derrière, où elle était à travailler, silencieuse et opiniâtre. Elle cherche quelque chose dans le noir, à tâtons. Elle fabrique des idées dans le mystère des replis, sans que je le sache. Je veux trouver et je ne sais pas où chercher. Ma pensée est toute remplie de choses ramassées au hasard, de collections, de bricoles et de riens, de rues en pente, de ciels d’automne, de chansons, de visages entraperçus, de regards émouvants, de frissons, de souvenirs, de coquillages à demi enterrés dans le sable gris, de neige silencieuse, de rideaux dans l’air, de minuscules planètes suspendues dans un rayon de lumière, de poupées cassées, de tortues mangeant des fleurs de trèfle…
Mais, du désordre du grenier de mon âme, ma pensée fait de la logique. De mes fouillis intimes, elle crée des images. Du fou, elle fait du sage.
J’écoute ma pensée dormir sans oser la réveiller… Elle rêve.
