Almoço de feriado.

Il y a des moments qu’on oublie jamais.

Ce jour-là, on touchait au but, à la fin d’un petit périple au travers de l’Espagne, comme on le fait souvent. On était arrivés à Lisbonne dans la matinée. On avait posé nos bagages et on s’était mis en quête d’un restau à l’heure do almoço (de déjeuner). On avait élu domicile entre le théâtre São Luiz et le théâtre São Carlos, en haut de la colline du Bairro Alto, non loin do Largo do Chiado, à la terrasse d’un petit café tranquille, à l’ombre de grands arbres. Comme j’en mourrai d’envie, on avait mangé quelques « salgados », des Pastéis de bacalhau, petits beignets de morue savoureux et croustillants, des croquetes de carne, croquettes de viande de bœufs rissolées, et autres croquetes de frango, petits pâtés frits au poulet… avec un délicieux et exotique guacamole, le tout arrosé d’un frais vin vert, o vinho verde que j’adore, et qui a le goût des vacances.

J’étais enfin arrivée dans ma Lisbonne aimée et je me souviens avoir ressenti cette satisfaction tranquille d’être là où je devais être, à cet exact moment. J’ai étiré mes bras au-dessus de ma tête et étendu mes jambes sous la table. Nous étions là, tous les deux, le nez au vent, les yeux ouverts, et de délicieuses sensations m’envahissaient.
Ce moment merveilleux où tout s’aligne pour former un simple instant de bonheur.

Ce qui restera…

Comme elles sont magnifiques, toutes les choses abandonnées qui se dégradent lentement.
Jamais elles ne furent plus belles qu’à ce moment où la beauté les abandonne,
Ni plus vivantes qu’à l’approche de leur fin.
À peine debout, elles résistent au délabrement qui ronge leurs poutres, leurs os, et déchire leur peau, morcelant leurs couleurs en écailles, brisant tout en petits morceaux d’où la vie s’échappe.
Dans leur rage à demeurer, elles ramassent autour de leur corps exsangue, les mousses et les lierres qui les maintiennent.
La fin des choses est chuchotement et brume et dentelles moisies autour des yeux, les volets dégondés ouverts sur le néant du passé qu’on oublie.
Vêtues d’une histoire ignorée, drapées d’ombres, encore rose parfois, ou bleu, ou ocre, elles laissent le temps les parer, les émailler de gris, les choses que l’on a abandonnées.
La rouille les orne, et les lambeaux des papiers peints disent où une main avait accroché un précieux portrait dont ne reste que l’écho.
Ma maison délabrée a le ciel pour plafond et le vent pour murs. Les pastels et les poudres s’en échappent pour courir dans l’azur.

Escalier de « secours ». Lisbonne (1993)

Une fée.

Elle avait une robe faite d’une étoffe si fine qu’on l’aurait cru taillée dans la membrane d’un œuf, fleurie et perlée comme la rosée. Un voile de dentelle tricoté par une araignée coiffait ses cheveux, et son front portait une escarboucle.
Son corps était plein et lisse comme un fruit.
Au-dessus de son ventre souple, deux seins poignants cachaient leur aréole dans le panache de sa crinière qu’elle laissait retomber jusqu’au sol. Sous le triangle de sa toison, ressemblant à des tiges qui la retenaient à la terre, se dessinait la ligne de ses jambes parfaites, des jambes prêtes à bondir, à sauter dans les arbres, aux fortes cuisses, aux mollets ronds et puissants. Ses bras étaient des lianes mouvantes et ses mains des brins de laine. Elle n’avait pas d’ailes, mais volait. Elle flottait dans le soir, auréolée de lumière, des étoiles dans ses cheveux. Ses pieds glissant sur la mousse faisaient naître des gerbes minuscules.
C’est ainsi que je la vis, un soir, à la fontaine, s’abreuvant dans la coupe d’une feuille. Presque transparente dans le crépuscule, elle était à genoux au bord de l’eau, ses cheveux comme des algues emportées par le courant.
Au premier bruit que je fis, elle s’évapora dans l’air humide…

Dramas en couleur…

À l’occasion de l’anniversaire de mon amie, et aventurière à Dramaland, Nathalie, j’ai dessiné une carte de vœux qui reprend quelques uns des dramas qu’elle et moi aimons, et quelques figures que l’on voit passer, les gisaeng, les épéistes, les rois, les dames de cour…

Hometown Cha Cha Cha, Moon Lovers, Scarlet heart : Ryeo, Goblin, My Country, The Rebel, The Red Sleeve…

Lisbonne sur le Tage…

Lisbonne est une ville d’errances. Il convient de se laisser porter par la lumière qui se dégage du Tage, une lumière douce, brumeuse de temps en temps, ou encore jaune et poudrée, quelquefois claire et transparente comme l’eau.
C’est une ville de petites choses entrevues, de vitrines surréalistes, d’enseignes sans objet, d’étonnantes compilations hétéroclites, de nœuds et de cordes, de têtes de poissons furieux derrière une vitre, d’entassements de pains farcis de chorizos, de petits gâteaux à la crème, de torsades et de pâtés, de couloirs encombrés de boutiques de rien. C’est une ville où le regard doit vagabonder, se promener sur les façades, muser jusque sur les toits où poussent des champs d’herbes folles, où des arbres prennent racine dans les gouttières écroulées. Les rues sont tantôt verticales et montent à l’assaut des collines parcourues de trams qui brinquebalent et tintinnabulent comme de grands jouets jaune d’or, tantôt elles sont à peu près plates, pleines de bosses et de trous revêtus de basalte, éblouissantes au zénith, quand le soleil implacable descend droit du ciel. Les murs carrelés réfléchissent eux aussi la lumière, mais plus tard, au soleil du soir qui darde ses rayons obliques et roses. Le fleuve est partout dans la ville. Du haut des collines, on le voit miroiter jusqu’à l’horizon. Entre les murs des immeubles qui le dissimulaient, et le dévoilent soudain dans la lumière brouillée d’un ciel couvert. Il offre ses bras, et ses jambes et tout son corps mouillé tout au bas de la ville, entre les parapets qui encadrent une volée de marches vertes, moussues et glissantes qui plongent dans l’eau, et qui sont le territoire des goélands. Deux colonnes comme des quilles marquent le départ vers l’ailleurs. Le Tage à Lisbonne, c’est le premier pas vers la mer. Sillonné de navires bien trop immenses, conduits par de minuscules bateaux-pilotes, il appelle vers le large…

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À ma fenêtre.

Passe le monde à ma fenêtre, promeneur indolent.
Je suis ici, immobile à la fenêtre de mes yeux, à regarder mourir le temps.
J’essaie de retenir une image, mais elle fuit, et je l’accroche avec les autres dans le musée de ma mémoire.
Tous ceux que j’ai connu sont assis dans l’oubli.
Le sable des heures les recouvre avec patience.
J’ai arrêté leur élan avec infiniment d’ingratitude pour les agrafer dans mon Panthéon, car le temps qui nous avait uni nous sépare.
Je les ai enfoui dans l’argile du passé.
Parfois, je cherche leur figure de cire morte pour la mettre à la lumière, mais rien ne les ressuscite.

Suis-je, moi aussi, un cadavre de boue ?
Je suis morte mille fois, et mille fois je me suis rangée sur les étagères de mes souvenirs, dans le fatras de mon intime grenier.

Que sais-tu de moi, toi qui regarde à l’intérieur
par la fenêtre de mes yeux ?