Il pleut ce matin… La petite pluie grise et fine de septembre qui enfouit les couleurs dans un brouillard d’eau et fait rouiller les feuilles. Les arbres de la place pleurent par en dessous et laissent divaguer leurs branches fatiguées, arrosant au passage les voyageurs qui viennent de la gare, et les chiens promeneurs de maîtres. Ils s’ébrouent dans la pluie et reviennent mouillés.
Étiquette : beauté
Lisbonne sur le Tage…
Lisbonne est une ville d’errances. Il convient de se laisser porter par la lumière qui se dégage du Tage, une lumière douce, brumeuse de temps en temps, ou encore jaune et poudrée, quelquefois claire et transparente comme l’eau.
C’est une ville de petites choses entrevues, de vitrines surréalistes, d’enseignes sans objet, d’étonnantes compilations hétéroclites, de nœuds et de cordes, de têtes de poissons furieux derrière une vitre, d’entassements de pains farcis de chorizos, de petits gâteaux à la crème, de torsades et de pâtés, de couloirs encombrés de boutiques de rien. C’est une ville où le regard doit vagabonder, se promener sur les façades, muser jusque sur les toits où poussent des champs d’herbes folles, où des arbres prennent racine dans les gouttières écroulées. Les rues sont tantôt verticales et montent à l’assaut des collines parcourues de trams qui brinquebalent et tintinnabulent comme de grands jouets jaune d’or, tantôt elles sont à peu près plates, pleines de bosses et de trous revêtus de basalte, éblouissantes au zénith, quand le soleil implacable descend droit du ciel. Les murs carrelés réfléchissent eux aussi la lumière, mais plus tard, au soleil du soir qui darde ses rayons obliques et roses. Le fleuve est partout dans la ville. Du haut des collines, on le voit miroiter jusqu’à l’horizon. Entre les murs des immeubles qui le dissimulaient, et le dévoilent soudain dans la lumière brouillée d’un ciel couvert. Il offre ses bras, et ses jambes et tout son corps mouillé tout au bas de la ville, entre les parapets qui encadrent une volée de marches vertes, moussues et glissantes qui plongent dans l’eau, et qui sont le territoire des goélands. Deux colonnes comme des quilles marquent le départ vers l’ailleurs. Le Tage à Lisbonne, c’est le premier pas vers la mer. Sillonné de navires bien trop immenses, conduits par de minuscules bateaux-pilotes, il appelle vers le large…
Le champ.
Le champ au soleil.
Les sauterelles et les criquets
se frottent la panse…
Le champ.
La nuit a éteint la lumière et le champ s’est tu un moment, puis les harpes de vent des grillons ont commencé à chanter. Les vers luisants s’éveillent, petits réverbères d’un monde minuscule.
Été.
Été.
Fouillis de champ. Le ciel a laissé des chiffons bleus dans la chicorée sauvage…
La rivière.
Pourquoi le reflet des arbres n’est-il pas entraîné par le mouvement de l’eau ?
Les saisons.
Marcher pieds nus dans la nuit sur le carrelage froid, ouvrir le réfrigérateur pour boire de l’eau glacée, écouter les pales du ventilateur couper l’air en frais petits quartiers, entendre les bruits de la nuit se faufiler entre les persiennes.
C’est l’été.
Les saisons.
Les moutons des nuages moutonnent en troupeaux sages vers l’horizon.
Un train passe au loin.
La rivière coule en un bruit de frisson.
Été.
Le corps indésirable. (suite).
Nora lui caresse le front, et glisse ses doigts dans les boucles soyeuses du jeune homme. Elle le regarde toujours comme si elle avait trouvé un merveilleux bijou… Mais Sami sait bien, lui, qui a trouvé un trésor. Ce jour-là, le jour du baiser sur la main et des larmes, c’est le jour où il est arrivé sur terre. Jusque là, il avait plus ou moins vécu en enfer. Quand Nora l’a trouvé, quand elle l’a déterré, et amené au jour, son cœur s’est ouvert comme une noix et a laissé entrer la lumière. Il était toujours gros, c’était toujours la galère, mais la main de Nora dans la sienne le rendait léger comme un ballon de baudruche.
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Les pales du ventilateur hachent l’air déjà étouffant de cette aube caniculaire. Il fait chaud tous les jours, ici. Tchac, tchac, tchac… Le ventilateur envoie un peu d’air frais vers le lit où dorment encore Sami et son amoureuse. La brise emporte et fait danser les voilages des fenêtres ouvertes. Vers le dedans, ils flottent comme des fantômes saccadés, agités de soubresauts, puis, avalés par les deux fenêtres, ils s’en vont flâner dehors, à peine retenus par les circonvolutions de fer forgé de la balustrade qui ferme les balcons. Dehors, au-delà, la ville déroule ses rues poussiéreuses, ses façades blanches, les fenêtres qui ressemblent à des regards noirs et vides. Au loin, dans l’air vibrant, le pont, le port, et les appels langoureux des cornes des bateaux qui le quittent, menés par le bout du nez par de minuscules bateaux-pilotes. Le brouhaha de la ville, étouffé par la distance, est un bourdonnement familier. On entend les cliquetis des boutiques au rez-de-chaussée qui ouvrent leurs rideaux de fer, et le chant des oiseaux perchés dans le néflier rebelle qui a poussé sans autorisation entre les pavés de la rue.
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