Rue du Rabois…

Lorsque que nous sommes arrivés rue du Rabois, il y a plus de vingt-six ans aujourd’hui, le 26 juin 1996, c’était au lendemain d’une période très noire pour mon compagnon, ma petite fille et pour moi… Une période de dépression profonde.
Cette maison, nous ne l’avions pas choisie. Ma mère et ma tante ayant reçu pour mission de nous trouver un toit à Argenton en un mois, elles choisirent cette maison au bord de la Creuse. Nous ne l’avions pas visitée, nous l’avons rencontrée le jour même de notre arrivée.
C’est ainsi que nous avons posé nos valises, et tout le reste, pour nous ne savions combien de temps. On voyait ça comme une étape.

Mais voilà, nous y avons été très heureux. Moi, en tout cas… Chaque fois que j’ai promené le chien sous les tilleuls de la promenade, je me suis sentie heureuse et très chanceuse…

La maison n’était pas parfaite, mais elle a su abriter la vie de notre petite famille. Pendant les treize ans où nous y avons vécu, ma fille a grandi. De petite fille de 11 ans, elle s’est transformée en jeune femme de 24 ans. On a vieilli, on a changé, j’ai passé du bon temps, mais aussi de fichus quarts d’heure, j’ai perdu mon père, mes cousins, mes oncles… J’ai eu des joies, j’ai eu des peines. Ma fille est partie, mon chéri est resté, mon chien a pris de l’âge.

Lire la suite « Rue du Rabois… »

Septembre.

Il pleut ce matin… La petite pluie grise et fine de septembre qui enfouit les couleurs dans un brouillard d’eau et fait rouiller les feuilles. Les arbres de la place pleurent par en dessous et laissent divaguer leurs branches fatiguées, arrosant au passage les voyageurs qui viennent de la gare, et les chiens promeneurs de maîtres. Ils s’ébrouent dans la pluie et reviennent mouillés.

Lisbonne sur le Tage…

Lisbonne est une ville d’errances. Il convient de se laisser porter par la lumière qui se dégage du Tage, une lumière douce, brumeuse de temps en temps, ou encore jaune et poudrée, quelquefois claire et transparente comme l’eau.
C’est une ville de petites choses entrevues, de vitrines surréalistes, d’enseignes sans objet, d’étonnantes compilations hétéroclites, de nœuds et de cordes, de têtes de poissons furieux derrière une vitre, d’entassements de pains farcis de chorizos, de petits gâteaux à la crème, de torsades et de pâtés, de couloirs encombrés de boutiques de rien. C’est une ville où le regard doit vagabonder, se promener sur les façades, muser jusque sur les toits où poussent des champs d’herbes folles, où des arbres prennent racine dans les gouttières écroulées. Les rues sont tantôt verticales et montent à l’assaut des collines parcourues de trams qui brinquebalent et tintinnabulent comme de grands jouets jaune d’or, tantôt elles sont à peu près plates, pleines de bosses et de trous revêtus de basalte, éblouissantes au zénith, quand le soleil implacable descend droit du ciel. Les murs carrelés réfléchissent eux aussi la lumière, mais plus tard, au soleil du soir qui darde ses rayons obliques et roses. Le fleuve est partout dans la ville. Du haut des collines, on le voit miroiter jusqu’à l’horizon. Entre les murs des immeubles qui le dissimulaient, et le dévoilent soudain dans la lumière brouillée d’un ciel couvert. Il offre ses bras, et ses jambes et tout son corps mouillé tout au bas de la ville, entre les parapets qui encadrent une volée de marches vertes, moussues et glissantes qui plongent dans l’eau, et qui sont le territoire des goélands. Deux colonnes comme des quilles marquent le départ vers l’ailleurs. Le Tage à Lisbonne, c’est le premier pas vers la mer. Sillonné de navires bien trop immenses, conduits par de minuscules bateaux-pilotes, il appelle vers le large…

Lire la suite « Lisbonne sur le Tage… »

À ma fenêtre.

Passe le monde à ma fenêtre, promeneur indolent.
Je suis ici, immobile à la fenêtre de mes yeux, à regarder mourir le temps.
J’essaie de retenir une image, mais elle fuit, et je l’accroche avec les autres dans le musée de ma mémoire.
Tous ceux que j’ai connu sont assis dans l’oubli.
Le sable des heures les recouvre avec patience.
J’ai arrêté leur élan avec infiniment d’ingratitude pour les agrafer dans mon Panthéon, car le temps qui nous avait uni nous sépare.
Je les ai enfoui dans l’argile du passé.
Parfois, je cherche leur figure de cire morte pour la mettre à la lumière, mais rien ne les ressuscite.

Suis-je, moi aussi, un cadavre de boue ?
Je suis morte mille fois, et mille fois je me suis rangée sur les étagères de mes souvenirs, dans le fatras de mon intime grenier.

Que sais-tu de moi, toi qui regarde à l’intérieur
par la fenêtre de mes yeux ?



Sud…

Longues routes qui déroulent leur ocre clair jusqu’à l’horizon, striées de l’ombre noire des oliviers.
Toute ombre est noire, sous le soleil. Toutes les couleurs s’affrontent sans tendresse dans la lumière. Le ciel de cobalt et la plaine blonde, les cyprès de vert sombre, les restes d’une mare opaline dans laquelle se noie le reflet d’un nuage solitaire.

Lire la suite « Sud… »

Pluie.

Le ciel est plein d’eau. Les arbres, de leurs longs doigts fragiles, tissent avec la pluie des toiles grises endiamantées. Le fin linon des nuages s’effiloche, laissant voir un carré de gaze bleu pale aussitôt voilé par les franges des nuées fuligineuses qui se fondent et s’unissent et se séparent de nouveau.

Le ciel égaré a laissé ses morceaux entre les sillons, dans la soie des flaques blanches.
Il regarde le monde à l’envers. Un goutte tombe dans le miroir de son œil grand ouvert.

Il pleut.
Comment décrire la douce peau de la rivière tavelée de bulles ?
Assise sur la rive, je regarde l’eau du ciel qui tombe dans l’eau de la terre. Est-ce la même eau ?
La rivière se trouble à cette rencontre, et brouille les reflets du ciel et des arbres.